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Halte à tout

18 décembre 2011

On vous aime

"On vous aime" : la feuille quadrillée réglementaire porte le message de quelques filles de la classe entouré de coeurs dessinés au stylo à l'encre bleue. Je remercie les "filles" qui bredouillent émues "Madame on vous aura encore l'année prochaine?", je range précieusement la missive d'amour dans mon cartable, en répondant que je ne sais pas, que ce n'est pas moi qui décide et je file en vacances après avoir glissé le message dans un tiroir de mon bureau. Emue, attendrie? même pas.Je trouve cela plutôt infantile mais je ne jette pas la feuille. J'étais jeune et je ne savais pas encore bien que un enfant a des réactions infantiles, pourtant en étymologie, je suis balèze !

Depuis, tous les ans, j'ai glissé dans les tiroirs des "On vous aime" écrits par les filles et des "Vous êtes la meilleure prof" écrits par les garçons. Je ne fais pas de discrimation sexiste : les messages des garçons sont plus ancrés dans la "compét" et ceux des filles dans les histoires d'amour. Tous ces petits mots de fin d'année au cours du temps ont évolué graphiquement. Les feutres aux couleurs fluorescentes ont remplacé l'encre bleue, puis sont arrivées les couleurs dorées et argentées mais les messages sont restés les mêmes. Fleurs (de chez le fleuriste ou piquées dans les jardins en venant au collège), tasses, briquets, éléphants en porcelaine (très tendance à une époque), bougies (une valeur sûre), colliers et bracelets sont venus améliorés l'ordinaire des "On vous aime".

J'ai presque toujours su qu'un cadeau allait accompagner les petits mots d'amour car les classes étaient en général en proie à un malaise grandissant au fur et à mesure que les vacances approchaient. Parce que faire un cadeau c'est toujours une question d'organisation très problématique. D'abord, les chefs du cadeau lancent l'idée : ils vont ramasser des sous pour faire un cadeau à la prof. Ils ont déjà une idée très précise du cadeau à acheter, de l'argent qu'il faudra récolter. Mais les indépendantistes pointent le bout de leur nez : ils feront un cadeau tout seuls ou avec leurs copains seulement, ils ne veulent pas que Jérôme ou Aglaé décident de ce qu'il faut acheter. Alors sont lancées les grandes négociations qui parfois aboutissent ou pas... Cette période tendue est aggravée par le fait que le "dernier jour" de l'année scolaire prévu pour offrir le cadeau est fluctuant : avant le brevet ou après ? Il faut donc savoir si on revient au collège après le brevet et si la prof sera là. Quel problème ! Donc il faut faire preuve de finesse et se renseigner sans en avoir l'air. Ils ne peuvent pas demander à un autre enseignant de la classe parce que lui, il n'aura pas de cadeau. Même s'ils ont parfois du mal à intégrer le fonctionnement des règles d'orthographe, ils savent très bien comment fonctionne l'ego de leurs enseignants après avoir partagé une année scolaire avec eux.

Emue, attendrie ?Toujours pas, mais je n'ai rien jeté. Tout est là : presque 30 ans de traces indélébiles de l'affection de ceux que j'avais quand même dû faire souffrir. Alors, album-nostalgie? Oh, non ! Tout est en vrac, dans les nombreux tiroirs que j'ai remplis au cours de ces années. Je ne range pas car il faudrait classer ou jeter. Tous ces mots conservés sont sans doute le reflet d'une partie de ce qui fait le métier d'enseignant :l'affection.J'ai mis du temps à l'admettre.

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18 décembre 2011

Pour commencer

"Halte à tout", je l'ai emprunté à Renaud qui dénonçait quand j'étais jeune le poids des cartables et le décalage entre ce qu'on apprenait à l'école et la vie dont on rêvait pour les générations à venir. Je regardais moi aussi à l'époque mes enfants grandir et je chantais avec Renaud "Halte à tout".Pourtant, à l'époque, j'enseignais. Ou devrais-je écrire "Surtout qu'à l'époque j'enseignais"?

Le temps a passé, Renaud ne va pas très bien à ce qu'on raconte, moi non plus mais dans une moindre mesure tout de même. L'école, elle, a été sabordée. J'ai suivi ce long sabordage en le dénonçant, comme d'autres, sans doute pas plus, mais tout cela n'a servi à rien.

Le collège est un lieu d'éducation par l'exclusion. Le lycée, que je connais moins, un aller simple vers le bac qui peut se transformer en aller simple vers l'Enfer. Je n'avais pas signé pour faire ce qu'on me demande de faire : je pensais que l'école était le lieu où l'on pouvait apporter à tous la culture qui permettait de comprendre le monde et d'écrire de jolis mots. Pourtant la naïveté n'a jamais été une de mes qualités. Je pensais que tout être humain a en lui un trésor que l'école devait lui permettre de révéler. J'ai bien peur aujourd'hui de ne plus croire en rien.

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